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Burn-out médical : mal du siècle ou éveil des consciences ?

Opinion du Dr Goubella Ahmed, Trésorier du MoDeS-Cartel, parue dans le Journal du Médecin.

Lorsqu'on évoque le syndrome d'épuisement professionnel, les premières images qui viennent à l'esprit concernent généralement le milieu de l'entreprise et ses pratiques managériales parfois inhumaines. Le monde médical, généralement plutôt discret sur le sujet en son sein, semble être depuis peu l'objet d'un certain buzz médiatique. Une couverture qui, loin de n'être qu'un effet de mode, semble être le témoin d'un éveil des consciences à la problématique.

La profession médicale charrie avec elle tout un tas de préjugés tant du point de vue des soignants, que des soignés. Les représentations sociales du médecin auprès des patients rendent impensable l'idée qu'il puisse faire preuve de " faiblesse ". Egalement au sein de notre corps de métier est véhiculée l'image du professionnel idéal, celui qui ne connait ni fatigue, ni hésitations ; celui qui ne commet jamais d'erreurs et ne se laisse jamais submerger par ses émotions et les souffrances de ceux qu'il soigne. Un formatage inconscient qui s'opère dès le début des carrières selon ce que la littérature décrit comme le hidden curriculum, forme d'apprentissage informelle où les plus jeunes s'inspirent des comportements de leurs ainés ; eux-mêmes orientés par la doxa.(1)

Cette idée du " savoir-être ", ne tient pas compte de la répétition des traumatismes rencontrés auprès des patients et de leur impact ainsi que du relatif isolement physique et psycho-affectif du soignant. Elle laisse par contre s'installer insidieusement ce qu'il est de coutume d'appeler le trépied du burn-out, à savoir l'épuisement émotionnel, la déshumanisation de la relation à l'autre et le sentiment d'échec professionnel. (2)

Pas de chiffre

Il n'existe pas de chiffres précis concernant la problématique en Belgique bien qu'une étude de l'European General Practice Research Network réalisée entre 1999 et 2012 sur 12 pays d'Europe évoque un risque élevé de burn-out chez près de 12% des médecins généralistes interrogés. Néanmoins, de plus en plus de témoignages font surface, là où l'omerta était de coutume il y a quelques années. Et leur résonnance médiatique actuelle peut avoir pour effet bénéfique de permettre une prise de conscience du problème et de diminuer la peur d'en parler pour celui qui le vit. L'expérience canadienne montre que la mise en place du programme d'aide aux médecins du Québec ou l'association canadienne de protection médicale, qui proposent des services d'écoute et de conseils de professionnels du milieu ont également permis de libérer la parole comme en témoigne le recours à leurs services de plus en plus fréquents. Néanmoins, les opinions en Belgique ne pourront réellement se modifier sans l'organisation de campagnes larges, ciblées et coordonnées même si l'ère du temps est de considérer le budget avant l'humain.

N'oublions pas que la question du bien-être et de la qualité de vie des soignants est essentielle; on ne soigne bien que lorsqu'on est soi-même bien et l'épuisement est pourvoyeur d'erreurs médicales(3). Gageons que dans un futur proche, l'écoute et l'entraide mutuelle se généralisent et que la conscience que nous sommes tous à risque devienne la pensée dominante.

 

(1) Hafferty FW. Beyond curriculum reform: Confronting medicine's hidden curriculum. Acad Med 1998;73(4):403-407

(2) Delbrouck M, " Burn-out et médecine " Le syndrome d'épuisement professionnel, Cahiers de psychologie clinique, 2007/1 ; 28 : 121-132.

(3) Landrigan CP et al. "Effect of reducing interns' work hours on serious medical errors in intensive care units." New England Journal of Medicine 351.18 (2004): 1838-1848.


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