Opinion du Dr Brauner Jonathan, co-président du MoDeS-Cartel, parue dans le Journal du Médecin.
L'évolution du financement de l'activité hospitalière vers du forfaitaire prospectif par pathologie fait couler beaucoup d'encre. Le premier cluster d'APR-DRG de " basse variabilité " devrait voir le jour courant 2018. Cette démarche dans le chef de la Ministre de la Santé a pour but de marquer rapidement le secteur avant les élections de 2019. Le chantier lancé sous l'ancienne législature devra ou pas être prolongé par la suivante, au risque de connaître encore beaucoup de remous en fonction du prochain ministrable.
Si l'on peut douter de la continuité des projets dans la perspective de la septième Réforme de l'état, de nombreux chantiers sont en cours, semant de nombreuses incertitudes. Tout d'abord, les réseaux hospitaliers où les alliances se jouent selon philosophie ou géographie. Un financement de soins dans une logique de réseau est proposé. Il sera probablement forfaitaire en fonction des types de soins délivrés par les institutions, ce qui complexifiera la gestion comptable des hôpitaux.
Les forfaits à la pathologie soulèvent de nombreuses questions. Si le Cartel n'est pas contre le principe, la méthodologie doit être largement réfléchie pour ne pas grever les comptes des hôpitaux. L'échéance de 2018 pour les clusters "basse variabilité" sera probablement prématurée dans la mesure où les hôpitaux peinent à maintenir leur budget en équilibre, conséquence d'une politique d'économies linéaires, mal réfléchies et drastiques ces dernières années. Certaines fédérations hospitalières ont eu raison de donner l'alarme afin de stabiliser les économies continues dans le secteur santé, ceci pour garantir un accès maximum aux soins, dans un contexte où de nombreuses pénuries en spécialistes hospitaliers complexifient le recrutement.
Certaines unions professionnelles se sont manifestées contre ce processus de forfaitarisation, précisant toute une série de menaces liées à ce système, et particulièrement la sous-consommation des soins qui pourrait avoir des conséquences néfastes. Néanmoins, le calcul du forfait est censé tenir compte de l'optimum des soins apportés par pathologie, ce qui ne devrait gêner que les outliers. La diminution de la qualité des soins est fortement controversée par l'implémentation de ce système. Nos pays limitrophes ne l'ont globalement pas constaté. La biologie clinique connaît cette situation avec les montants de référence, qui nous obligent à remettre en question notre prise en charge en matière médicotechnique, par exemple en diminuant le volume d'analyses demandées par patient et par pathologie. Or, outre le recrutement des patients, le nombre d'actes réalisés et les suppléments éventuels permettent aujourd'hui de maintenir à flot un hôpital. Avec un système de forfaitarisation, le développement de l'ambulatoire deviendra le ballon d'oxygène. Ceci pose la question de l'avenir des suppléments dans ce contexte.
L'honoraire pur pourrait être une solution pour apaiser le monde médical mais encore faut-il le définir équitablement... La forfaitarisation est une opportunité pour lisser les rémunérations disparates des spécialistes hospitaliers au sein d'un même hôpital pour un travail équivalent, conséquence d'une dissymétrie de nomenclature. Cette forfaitarisation pourrait envisager une base fixe commune à tous les médecins, les compléments venant d'activités ambulatoires (hospitalisations de jour, chirurgie de jour,...), de disponibilité, d'urgences... Cette démarche devrait pousser d'avantage une vision collective des médecins centrés sur le patient. Dans ce type de système moins basée sur la productivité d'actes, la qualité des conditions de travail peut aussi être plus facilement discutée.
Un autre élément attenant est le rapport de force financier entre gestionnaire, détenteur du BMF, et les médecins, détenteurs des honoraires. La forfaitarisation pourrait déséquilibrer ce rapport selon certains. Il est heureux que dans la plupart des hôpitaux les médecins travaillent en bonne intelligence avec les gestionnaires et qu'on n'assiste pas à un bras de fer perpétuel. La pertinence d'impliquer d'avantage de médecins dans les hôpitaux - à l'image de la création du médecin directeur coordinateur de réseau - permettrait de garantir la vision médicale dans ces superstructures. L'idée de la création d'un fond d'investissement cogéré, ressemblant aux commissions financières paritaires de gestion de certains hôpitaux, est une perspective intéressante dans cette logique qui devra s'étendre au réseau.
Ces quelques lignes soulèvent plusieurs enjeux derrière le processus de forfaitarisation, et il en est encore bien d'autres à discuter. La succession de réformes agrémentées d'économies est une menace permanente pour la stabilité du système de soins. L'organisation des soins intégrant les structures de revalidation et des itinéraires précis produisant plus de collaborations interdisciplinaires, la gestion comptable, l'implication des médecins dans la gestion hospitalière, la rémunération des médecins et les suppléments sont parmi les plus grands défis à débattre dans les prochains mois. Ce n'est donc pas sous le couperet que ces fondamentaux doivent être discutés. Les réformes en cours doivent être progressives afin que les médecins puissent les discuter et les implémenter. Un changement de paradigme ne pourra pas fonctionner dans la brutalité.