Opinion du Dr Jonathant Brauner, co-président du MoDeS-Cartel, parue dans le Journal du Médecin.
Le Monde Des Spécialistes (MoDeS-Cartel) fait de la qualité de vie des médecins un de ses principaux chevaux de bataille. Ce concept part d'un principe simple : La qualité des soins au patient passe par le bien-être des soignants. Dès lors, comment peut-on penser les soins de santé afin de garantir à chaque prestataire, particulièrement ceux à l'hôpital, un climat serein de travail, à l'heure où l'offre médicale se raréfie avec les difficultés connues de recrutement des médecins.
On en demande toujours plus aux médecins, avec un risque accru de burn out. La prévention du burn out est prise au sérieux par notre ministre, mais cela demande une révision en profondeur du système plutôt que d'en récolter les conséquences.
L'inventaire du profil des générations de médecins qui défilent dans les hôpitaux constitue une approche intéressante à l'heure où l'informatisation croit. La génération Y (± 25-40 ans) défend un équilibre plus juste entre devoirs et droits. Pas étonnant que la loi sur le temps de travail des médecins émerge de cette génération. Cette vision s'étend aujourd'hui à tous les médecins, quels que soient leur âge. Ces derniers souhaitent réserver du temps à leur famille ou pour eux-mêmes, jongler entre vie familiale et vie sociale. Cela se traduit généralement par la volonté de ne plus voir de patients en soirée et les week-ends, sauf en cas de gardes dans le respect de la continuité des soins.
Ces durées de travail raisonnables (avec de la flexibilité notamment en ce qui concerne le lieu de travail) avec récupération effective des gardes constituent le primum movens d'une meilleure qualité de vie. Cette qualité de vie nécessite une meilleure gestion du travail, par exemple via une meilleure planification (consultations sur rendez-vous,...), mais également une révision de l'environnement de travail par une véritable organisation des soins, qu'elle soit intra-hospitalière ou en relation directe avec l'ambulatoire, notamment la coordination des soins avec les médecins généralistes (gestion de " l'hospitalisation à domicile ",...) mais également les autres prestataires de soins.
Si l'on aborde la gestion du travail, de nombreux paradigmes sont en voie de mutation, bousculant le contexte hospitalier. Il faut d'abord tenir compte de l'évolution des soins, des métiers et de l'implémentation des nouvelles technologies. Ceci sous le regard d'exigences d'accréditations plurielles, de la qualité et de la performance des soins qui doivent être mesurés. L'incertitude liée à la constitution des réseaux hospitaliers complexifie les projections de carrières possibles. Dernier point majeur : les contraintes de financement dans une logique accrue de marchandisation des soins et d'une pression médico-légale croissante.
Comment dès lors garantir un environnement serein au travers de cette photographie, alors que les médecins aspirent à une meilleure qualité de vie à l'heure où on leur en demande toujours plus ? L'équation est complexe. La réponse, certes matricielle, pourrait se résumer à " travailleur mieux ", c'est-à-dire à penser le travail dans une démarche qualité, en redéfinissant les processus et les flux, en standardisant des procédures cliniques comme cela existe en hémovigilance par exemple, en redéfinissant la place, les tâches et compétences des prestataires de soins.
L'organisation de l'hôpital doit dès lors être repensée. Certains hôpitaux intègrent des itinéraires de soins centrés sur les patients, ce qui a modifié l'organisation traditionnelle par spécialité " en silo ". Chacun de ces éléments nécessite néanmoins une réflexion plus approfondie. En regard de ces points, la philosophie du Cartel pourrait se résumer de la sorte : Les meilleurs soins, accessibles à tous, au meilleur endroit, par le prestataire le plus adéquat, au moment le plus opportun, au juste prix. La place de l'hôpital dans la cité doit dès lors être discutée, de même que les interactions entre prestataires dans un environnement qui s'informatise.
L'autre débat attenant à cette qualité de vie concerne la rémunération du médecin. La logique du financement à l'acte lie la productivité des médecins avec leur rémunération. La pression sur la productivité associée à une mauvaise organisation de travail est par ailleurs une des sources de burn out.
Les contraintes liées à la dissymétrie de la nomenclature ont pour conséquence des écarts de rémunération très importants entre spécialités. Les services médicotechniques doivent financer des activités médicales "non rentables" dans les hôpitaux. Cet équilibre de financement pourrait être réalisé au niveau de l'Inami plutôt qu'au niveau de l'hôpital. Cela permettra à certains conseils médicaux d'éviter des débats interminables et de se concentrer sur l'organisation des soins.
On peut dès lors se demander quel est le salaire idéal du médecin, moyennant une réflexion à partir d'un temps de travail équivalent, la pénibilité liée aux prestations médicales (consultations, activité opératoire, actes techniques,...) ainsi qu'à leur complexité. Ces éléments repris dans quelques études nationales devraient apporter un éclairage intéressant sur nos pratiques et leur financement. Le financement prospectif à la pathologie et la réflexion sur l'honoraire pur mènera certainement à une refonte de la gestion des flux financiers.
Le système de soins est en pleine mutation. Les aspirations des spécialistes ont également changé. Faire coïncider ces aspirations avec l'environnement professionnel sera le défi majeur de ces prochaines années. L'hôpital doit s'adapter en modifiant son organisation et ses interactions avec la cité, afin de garantir un épanouissement professionnel pour tous. Travailler plus ? Non ; travailler mieux ? Oui !