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Crise des numéros INAMI : « Mihi cura futuri »

Opinion du Dr Goubella Ahmed, Trésorier du MoDeS, parue dans le Journal du Médecin.

Très régulièrement la presse, qu’elle soit spécialisée ou grand public, se fait l’écho de la crise dite des « numéros INAMI » ; tant et si bien qu’elle en devient presque un marronnier pour elle. La récurrence de ces évocations ne doit cependant pas faire perdre de vue les véritables débats de fond sous-jacents. La crise dite des « numéros INAMI » est loin d’être glorieuse à plus d’un titre :

 

Premièrement, pour des raisons politiques. Le numerus clausus qui est d’application effective depuis 2004 avait pour but initial de contrôler, voire de diminuer, le coût des soins de santé en ne permettant qu’à un certain nombre de médecins nouvellement diplômés de recevoir le fameux « numéro INAMI » et donc d’avoir accès à une médecine dite curative et de dispenser des soins. Les universités ont dès lors appliqué un premier filtre afin que le nombre de diplômés concorde avec les quotas décidés par l’Etat. La suite est connue. Le Nord du pays mit en place un examen d’entrée qui est toujours d’application tandis que le Sud optait à trois reprises pour un concours en cours de cursus qui s’est à chaque fois vu invalidé par le Conseil d’Etat (problème dit des « reçus-collés »). Les quotas ont persisté mais les nouveaux diplômés excédentaires tant du Nord que du Sud se sont tout de même vu attribuer un numéro INAMI, post posant ainsi le problème jusqu’à aujourd’hui.

 

Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dire que les quotas décidés à l’époque étaient basés sur un cadastre erroné, ne prenant pas en compte le vieillissement de la population médicale, la féminisation de la profession et l’activité réelle des médecins. Dans un avis rendu le 24 mars 2007, l’Académie Royale Belge de Médecine (ARMB) jugeait déjà ces quotas trop limitatifs et demandait un assouplissement de ceux-ci au risque d’une pénurie médicale déjà perceptible. Des réactions politiques efficaces et raisonnées se sont faites et se font encore attendre, dans un contexte communautaire toujours délicat. La décision récente de la Ministre de la Santé de ne pas suivre les recommandations de la commission de planification de l’INAMI qui préconisait une répartition des quotas de diplômés entre le Nord et le Sud 56,5/43,5 en lui préférant une répartition 60/40 arbitraire en est l’exemple.

 

Secondairement, pour des raisons humaines. Depuis déjà plus d’une dizaine d’années, des centaines d’étudiants sont exposés à une situation qui est loin de leur apporter la sérénité nécessaire à leur investissement. Tout cela pour qu’une solution de fortune, ponctuelle et in-extremis soit à chaque fois trouvée après de longs atermoiements. Ils sont à chaque fois pris en otage d’un blocage politique scandaleux aux relents communautaires. La grogne des étudiants est dès lors plus que compréhensible. Bis repetita non placent.

 

Troisièmement, pour des raisons de santé publique. Des quotas mal calculés et à la baisse risquent de déprécier la médecine belge tant du point de vue quantitatif que qualitatif. Il n’y a actuellement pas de pléthore de médecins et de récents articles rapportent une pénurie actuelle et à venir en médecine générale et spécialisée. Certaines zones géographiques du pays sont déjà en manque cruel de praticiens. La tentation dans ce contexte est grande de faire appel à des médecins étrangers, ce qui est d’autant plus facile dans un contexte de libre circulation européenne. L’ARBM le signalait déjà en 2007. Cette pratique qui est déjà en cours, n’est malheureusement pas prise en compte dans la planification.

 

L’organisation d’un examen d’entrée en Fédération Wallonie-Bruxelles, pierre d’achoppement entre la FWB et le Fédéral, semble entérinée par les deux parties même si elle ne constitue pas la situation idéale. Cela règlera-t-il tout le problème pour autant ? Une mise à l’équilibre du passif excédentaire de numéros INAMI attribués ces dernières années via un processus de « lissage négatif » est également proposée. Néanmoins, de nombreuses voix se lèvent pour signaler que pour faire face aux besoins, il s’agirait plutôt d’exercer un « lissage positif » en augmentant les quotas proposés. La formation d’un médecin à sa pratique prend au minimum 9 ans. Ce temps de réponse à une pénurie est trop grand ; une plus grande souplesse dans la régulation de la profession est donc nécessaire.

 

Par ailleurs, il est indispensable de conditionner la planification à une réflexion en profondeur à propos du contexte législatif européen en matière de liberté de circulation des médecins en Europe, susceptible de déstructurer le modèle de planification et d’organisation des soins. Il s’agirait de faire respecter une meilleure équité entre diplômés belges et européens.

 

Il est dommage que des revendications idéologiques puissent prendre le pas sur une vision d’avenir objective car il s’agit aujourd’hui de définir la médecine que nous voudrions pour demain. Un jour prochain, en cas d’effondrement de nos soins de santé, les futurs politiciens pourront aisément s’en laver les mains et rejeter la faute sur leurs prédécesseurs. Leur image sera probablement sauve, mais pas la santé de la population et il sera alors probablement trop tard.


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